Mémoires de confiné.e.s

Montreuil-Bagnolet


A Montreuil, le confinement nous a uni.e.s et renforcé.e.s.

Nous sommes début mai, à une semaine de la levée du confinement, à l'heure où l'hélicoptère tourne au dessus de notre quartier. A Montreuil, comme ailleurs, le temps s'est suspendu, nous contraignant à laisser de côté, pour un temps, nos activités quotidiennes. Pour autant, dans les environs, le confinement et le printemps ont vu fleurir des convergences insoupçonnées.

Face à la faillite de l'Etat social, de ses institutions, et à son incapacité à répondre aux besoins les plus élémentaires des individus, accentuée par l'état d'urgence sanitaire, il nous semblait évident de ne pas seulement "rester chez nous" et sombrer dans l'individualisme et le catastrophisme.

"Retrouver le sens de l'essentiel" signifiait continuer à nous mettre en mouvement et nous organiser pour venir en aide aux laissé.e.s-pour-compte du gouvernement. Cette période fut pour nous l'occasion de renforcer notre organisation et notre autonomie. La distance physique ne serait pas synonyme de distance sociale !

Nous, nous sommes un collectif d'ami.e.s, de camarades et de voisin.e.s qui nous organisons depuis près de quatre années maintenant pour, une fois par semaine, faire la récup des invendus de fruits et légumes à Rungis. D'habitude, c'est à dire hors crise sanitaire mondiale, nous en distribuons une partie dans notre réseau à Montreuil et à Bagnolet, tandis que l'essentiel revient à la Cantine des Pyrénées (XXe). Au début du confinement, quand nous avons commencé à discuter de continuer la récup malgré tout, nous l'avons contactée pour obtenir des conseils, administratifs ou sanitaires. Les copaines de la Cantine ayant trouvé d'autres solutions d'approvisionnement, nous avons décidé de nous consacrer aux besoins des habitant.e.s de Montreuil et alentours. Aidé.e.s d'ami.e.s et de camarades Gilets Jaunes, nous avons mis en place une récup deux fois par semaine, les lundis et mercredis. Nous confectionnons ensuite des paniers sur le parking d'un garage autogéré et solidaire, pour après les distribuer à une centaine de personnes dans le besoin, contactées grâce au réseau d'entraide pré-existant à Montreuil, comme par exemple la Maison des Femmes.

Les autres jours de la semaine, nous prêtons notre camion à F. et son équipe (rencontrés pendant ce confinement), qui se rendent à Rungis acheter des légumes à bas prix pour ensuite les distribuer à prix libre dans différents quartiers populaires de Montreuil, sous forme de marchés sauvages. Il appelle déjà ça la "Banque Alimentaire Participative". Comme un camion de glace avec sa petite musique aguichante, F. commence à être connu comme le loup blanc en bas des tours de Montreuil.

Notre collectif n'est pas le seul, loin s'en faut, à s'être mis en mouvement dans les environs, pendant cette période. Les Brigades de Solidarité Populaire, inspirées de l'expérience italienne, ont commencé à se multiplier en Ile-de-France et ailleurs, pendant le confinement.A Montreuil, ce sont deux camarades italien.ne.s entre autres qui, ne voulant pas rester les bras croisés, les ont lancées. Aujourd'hui, les Brigades de Solidarité Populaire de Montreuil-Bagnolet comptent une centaine de personnes, habitants et habitantes des environs. Elles assurent trois permanences par semaine dans un nouvel espace d'entraide, AERI, ouvert cette année dans le Bas-Montreuil, ainsi que deux autres par semaine dans le Haut-Montreuil. Un protocole sanitaire est évidemment pensé et rigoureusement mis en place (masques, gels hydroalcooliques, etc.). Lors de ces permanences, il est possible d'y déposer des dons (nourriture, kit d'hygiène, etc.), mais également de venir en récupérer pour soi ou pour les distribuer lors de maraudes, auprès de personnes précaires qui ne peuvent pas forcément se déplacer, et enfin dans les foyers et squats de la ville. Des ateliers banderoles y sont aussi désormais programmés régulièrement afin d'affirmer l'aspect politique et éminemment revendicatif de ces initiatives. Assez rapidement, au vu des besoins mais également de la motivation des brigadistes, trois cantines par semaine sont organisées, le mardi, le jeudi et le samedi, afin de pouvoir livrer des plats préparés aux personnes qui ne peuvent pas cuisiner elles-mêmes. Les autres jours de la semaine, c'est une cantine autogérée installée dans un lieu historique d'organisation politique, la Parole Errante, qui assure la confection des plats. Cette cantine, qui débutait tout juste, a d'ailleurs vu sa dynamique s'accélérer grâce à la solidarité activée pendant le confinement. C'est aussi à la Parole Errante, qu'une manufacture a été mise en place : 5 machines à coudre permettent ainsi à différent.e.s couturier.e.s de confectionner des masques, aux normes AFNOR (le matériel est fourni par le Fab Lab de Bel Air). Ils seront ensuite distribués aux différents collectifs d'entraide, à des structures d'hébergement d'urgence ou de soin psy, à des pharmacies ou à des gens qui tout simplement en demandaient.

Dès le début, nous nous sommes mis en contact avec les Brigades Solidaires ainsi qu'avec cette cantine afin de mieux nous coordonner : nous faisons nos récup les mêmes jours que les permanences des brigades pour pouvoir leur déposer une partie de nos recup, récupérer aliments secs et produits d'hygiène à distribuer. Et lorsqu'il nous reste des légumes, c'est à ces cantines que nous les donnons. Leurs plats préparés partent ensuite dans toute la ville grâce à la réactivité de nombreu.x.ses volontaires. Fort.e.s des liens créés entre nos différents collectifs et avec une coordination renforcée de jour en jour, c'est à des centaines d'habitant.e.s de la ville que nous distribuons ces biens de première nécessité.

L'idée de laisser une trace de ce qui était en train de se passer a émergé rapidement. Face à l'effervescence actuelle, décrire la genèse de ce que nous vivions était aussi un moyen de comprendre comment cela fut possible, de réfléchir à comment le faire perdurer et ressurgir. Il était inconcevable de ne pas tenter de nous souvenir collectivement de ce qui est en train de se passer, tout comme il nous paraissait important de faire connaitre ce qui se déroule dans les environs.

Dès le début, la spontanéité et la facilité avec laquelle se sont mises en place les différentes initiatives nous ont tous et toutes enchanté.e.s, l'évidence partagée nous rendant presque euphoriques, disons-le. Le fait que ces dites initiatives n'auraient pu voir le jour sans un maillage dense de collectifs, de luttes, de lieux et de projets pré-existants à cette période de confinement n'a fait que nous conforter dans l'idée qu'une continuité est possible, et ce, même en période de crise et de "distanciation sociale". Une continuité ainsi qu'un entrelacement de dynamiques jusqu'alors pas si officielles ni toujours fluides. Bien sûr, différents liens affinitaires, politiques, existaient "pré-confinement" entre les personnes qui se rencontrent et s'organisent ensemble aujourd'hui, mais il semblerait que cette situation d'urgence ait facilité un travail commun qui consolide dès aujourd'hui ces liens de solidarité qui nous semblent à tous et toutes nécessaires de développer et de pérenniser.

Car en effet, que ces situations de crise sanitaire soient amenées à se renouveler ou non, il est évident que nous sommes en "guerre". Nous l'étions bien avant l'apparition de la pandémie de coronavirus. Nous le serons encore après la découverte d'un vaccin. La guerre que nous menons est contre un système qui sacrifie les vies sur l'autel du profit. Contre un système qui dévalorise les professions essentielles au bon fonctionnement d'une société, envoie sa police réprimer les quartiers populaires où le confinement est le plus difficile à supporter, piège les femmes aux prises avec des conjoints violents. Un système qui fait l'éloge des logiques individuelles contre toute tentative de réponses collectives.

Comme tout cela, le mal-logement et les difficultés à se procurer de la nourriture, s'ils existaient avant le confinement, se sont vus accentués par celui-ci et continueront leur progression au regard de la crise économico-financière qui se profile.

Si nous avons pu craindre de tomber dans des logiques caritatives qui s'apparentent, selon nous, davantage à des pansements qu'à des remèdes, nous sommes convaincu.e.s que des brigadistes aux bénéficiaires, les personnes mises en lien pendant ce confinement continueront de prendre part aux initiatives autogestionnaires, de solidarité et d'entraide existantes dans ces villes. Nous ne remettons pas en cause les activités dites « humanitaires », nous ne prétendons pas non plus avoir trouvé toutes les réponses à nos questions. Nous souhaitons approfondir les relations que nous entretenons les uns avec les autres, tout en questionnant les logiques de pouvoir et de domination qui pourraient s'instaurer au sein des rapports sociaux. Face à l'échec des réponses sociales de l'Etat et de ses institutions, nous organiser nous-mêmes pour répondre matériellement à des besoins urgents était à la fois une nécessité et une manière d'affirmer l'importance d'une riposte populaire.

Le 1er Mai, à la Croix de Chavaux, toutes ces initiatives se sont réunies pour organiser ensemble et dans le respect des gestes barrières, un marché populaire gratuit. Cette action avait pour but, tant de visibiliser l'absurdité de l'interdiction des marchés au profit des grandes surfaces, que de présenter les actions quotidiennes des brigades, mais également de sortir de chez nous, en ce jour de fête nationale symbolique. Nous avions aussi l'intention de dénoncer les responsables des inégalités et injustices sociales, en accompagnant ce geste de solidarité avec des banderoles revendicatives, des chants et des tracts. La seule réponse d'un préfet qui, quelques jours plus tôt s'inquiétait du risque d'émeutes de la faim dans le 93 a été de nous verbaliser. Et pourtant, cet acte contradictoire et ridicule aux yeux de tous.tes a bien peu de chance de ralentir une dynamique qui a de belles heures devant elle. Car, partout et tous les jours, c'est toujours plus d'actions solidaires qui voient le jour, s'organisent et créent du lien, là où le coronavirus semblait l'avoir délité.

Des Montreuillois.es en voie de déconfinement.

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